La rue qui porte le nom de Chasseloup-Laubat
est l'une des plus longues de la ville de Saigon. Elle commence au pont
de Thi Nghè, longe un côté du Jardin Botanique de Saigon,
traverse la ville dans toute sa largeur et se termine à la limite
entre Saigon et Cholon. En traversant la partie centrale de la ville, elle
borde un flanc de l'ancien Palais du Gouverneur général,
devenu Palais de l'Indépendance (Dinh Doc Lap) sous la République
du Viêt-Nam, née après les accords de Genève
de 1954, et enfin Palais de l'Unification (Dinh Thông Nhât)
lors du changement de régime en 1975. C'est également à
cette section qu'elle passe devant l'établissement scolaire baptisé
en 1875 "collège Chasseloup-Laubat", devenu le principal lycée
français de Saigon.
Cette longue voie avait à l'origine pour nom "Route
stratégique", puis "Route n° 25". En changeant de nom une troisième
fois, elle fut enfin baptisée "rue Chasseloup-Laubat".
Sous le gouvernement nationaliste de la République
du Viêt-Nam, il est impensable qu'une grande artère de la
capitale porte le nom d'un farouche défenseur de l'empire colonial
français; la rue Chasseloup-Laubat doit changer d'appellation et
porte désormais le nom de Hông Thâp Tu ("Croix-Rouge"),
le nouveau siège de la Croix-Rouge Vietnamienne ayant été
récemment construit sur cette même rue, à sa dernière
section, près de la limite avec Cholon.
Au même moment, le lycée français
de Saigon est débaptisé pour abandonner un nom qui évoque
un fâcheux passé colonial. Il devient "Lycée
Jean-Jacques-Rousseau", du nom du philosophe du Siècle des
Lumières, porteur de valeurs réputées universelles.
Dans les années 70, le lycée est transféré
au gouvernement vietnamien. Dépendant désormais du Ministère
vietnamien de l'Education Nationale, il devient l'Etablissement de l'Enseignement
secondaire Lê Quí Dôn (Truong Trung hoc Lê
Quí Dôn), du nom d'un lettré vietnamien du XVIIIe
siècle ayant la réputation d'un prodige doué d'un
grand talent littéraire dès sa première jeunesse.
Surviennent la victoire communiste d'Avril 1975 et la
chute du régime de la République du Viêt-Nam. Sous
le nouveau régime de la République Socialiste du Viêt-Nam,
l'ancien lycée français de Saigon conserve le nom de Lê
Quí Dôn, cet érudit du XVIIIe siècle ayant le
mérite de ne pas s'être mêlé aux luttes politiques
du XXe siècle et ses talents littéraires sont également
reconnus par le nouveau régime. Le lycée est officiellement
appelée "Etablissement de l'Enseignement général du
2e degré " Lê Quí Dôn (Truong Phô thông
câp II Lê Quí Dôn ). Dans la pratique, il reste
réservé aux enfants de la nouvelle élite du nouveau
régime.
Toutefois, la rue Hông Thâp Tu alias Chasseloup-Laubat
ne survécut pas au changement de régime. Elle porte alors
le nom à connotation nettement révolutionnaire de Xô
Viêt Nghê Tinh, qui rappelle le soulèvement des provinces
de Nghê An et Hà Tinh contre le pouvoir colonial français
et l'établissement de premiers soviets en Indochine, selon le modèle
de la révolution russe. Enfin, la rue est par la suite une nouvelle
fois débaptisée pour être appelée Nguyên
Thi Minh Khai, du nom d'une révolutionnaire, compagne de route et
farouche partisane de Hô Chí Minh.