Chasseloup-Laubat
(1805-1873)
Justin Napoléon Samuel Prosper Chasseloup-Laubat est né le 29 mars 1805 à Alexandrie (Piémont, Italie). Son père, Francis, marquis de Chasseloup-Laubat (1754-1833), né à St-Sornin (Charente-Maritime) était Général sous l'Ancien Régime. Brillant spécialiste du génie, rallié à la Révolution, il défendit Montméry (1792), dirigea les sièges de Maastricht (1794), de Mayennes (1795), de Milan et de Manton (1796), de Dantzig et de Stralsund (1806-1807). Rallié en 1814 aux Bourbons, il fut élevé à la pairie par Louis XVIII.
Justin Prosper Chasseloup-Laubat ne choisissait pas la
carrière militaire mais entra au Conseil d'Etat en 1828, à
l'âge de 23 ans, comme auditeur. Fait Chevalier de la Légion
d'Honneur en 1829, il assiste à la chute du gouvernement de Charles
X suite à la révolution de 1830. Sous la monarchie de Juilllet
et le règne de Louis-Phillippe, il continuait à servir au
Conseil d'Etat et fut nommé Maître des requêtes en 1831,
chargé des fonctions de commissaire du gouvernement.
Il fut élu en 1838 député de l'arrondissement
de Marennes, puis nommé conseiller d'Etat l'année suivante.
Ce fur un bel avancement: entré comme auditeur en 1828, il parvenait
en dix ans plus tard au grade de Conseiller d'Etat.
Survinrent la Révolution de 1848 et l'avènement
de la IIe République, il se présenta aux électeurs
de la Charente-Inférieure où sa famille avait des attaches
profondes, son père et sa mère y étant nés
et son grand-père paternel y exerçait la charge de capitaine
général du guet, garde-côte maritime. Aujourd'hui la
Charente-Inférieure est devenue le département de la Charente-Maritime
dont Marennes est le chef-lieu départemental. Chasseloup-Laubat
fut élu à l'Assemblée législative en 1849.
En 1851, le Prince Louis-Napoléon Bonaparte, Président
de la République, l'appela au ministère de la Marine et des
Colonies. C'était le temps de la transformation de la marine à
voile. Son passage au ministère fut court: il ne dura que dix mois
et Chasseloup-Laubat quitta ses fonctions de Ministre de la Marine le 26
octobre 1851.
Le 2 décembre de cette année, la IIe République
disparaît, emporté par le coup d'Etat accompli par le Prince
Président. Un an après, le 2 décembre 1852, Louis-Napoléon
Bonaparte restaure l'Empire et prend le nom de Napoléon III.
Pour donner une nouvelle orientation à la gestion
de l'Algérie, Napoléon III crée le 24 juin 1858 le
ministère de l'Algérie et des Colonies qu'il confie au Prince
Jérôme Napoléon. Celui-ci ne reste pas longtemps à
son poste et est remplacé le 24 mars 1859 par Chasseloup-Laubat.
Pourtant, ce ministère de l'Algérie suscitait beaucoup de
mécontentements, notamment de la part des militaires qui voyaient
d'un mauvais œil l'abolition du Gouvernement Général de l'Algérie,
placé jadis sous leur autorité. Napoléon III supprime
le ministère de l'Algérie et des Colonies le 24 novembre
1860 et le même jour Chasseloup-Laubat est nommé ministre
de la Marine, en remplacement de l'amiral Hamelin.
Entre-temps, la conquête de la Cochinchine a commencé.
En 1858, la flotte française en Extrême-Orient sous le commandement
de l'amiral Rigault de Genouilly avait victorieusement participé
aux côtés des Anglais à la campagne de Chine, se terminant
par la prise de Canton et de Tientsin. Le 1er septembre, les bâtiments
de guerre français bombardaient le port de Tourane (Da Nang). Le
soir, la ville est tombée. Renonçant à prendre Hué,
Rigault de Genouilly envoya ses troupes vers le sud, à la conquête
de Saigon. Février 1859, l'escadre de Rigault de Genouilly était
présente à l'embouchure de la rivière de Saigon, il
remonta la rivière en bombardant les forts qui se trouvaient sur
son chemin et prit Saigon à l'issue d'une courte bataille. Le 1er
novembre de cette année, Rigault de Genouilly fut remplacé,
à sa demande, par l'amiral Page comme commandant en chef du corps
expéditionnaire.
La flotte française est appelée en 1860
à participer à une deuxième expédition contre
la Chine. La campagne se termine en octobre par la prise de Pékin
et la signature d'un traité de paix avec la Chine. L'amiral Charner,
nommé en avril 1860 commandant en chef des forces navales en Extrême-Orient,
envoie sa flotte vers le sud et commence la véritable conquête
de la Cochinchine. Il lance ses troupes à l'assaut du camp retranché
de Chi Hoa qui tombe en février 1861. La province de Gia Dinh est
dès lors entièrement aux mains des Français. Charner
décide de s'attaquer à My Tho qui ouvre aux troupes françaises
l'accès au delta du Mékong. Alors que Chasseloup-Laubat est
aux commandes au ministère de la Marine depuis moins d'un an, un
décret impérial nomme le contre-amiral Bonard en remplacement
de Charner à la tête du corps expéditionnaire. Bonard
prend le commandement le 30 novembre 1861, envoie ses troupes attaquer
Biên Hoa, Ba Ria, Vinh Long et achève la conquête de
la Cochinchine.
Le 5 juin 1862, un traité de paix est signé
avec la cour de Hué aux conditions dictées par Bonard: cession
à la France des trois provinces orientales de la Cochinchine: Gia
Dinh, Biên Hoa et Dinh Tuong, versement sur dix ans d'une indemnité
de guerre de 20 millions de Francs, acceptation de la liberté religieuse
et ouverture au commerce international de trois ports, dont Tourane. L'amiral
Bonard quitte le Viêt-nam après la ratification du traité
de juin 1862 par la cour de Hué à l'issue de laquelle il
a été reçu solennellement par l'empereur Tu Duc en
avril 1863. Il est remplacé par l'amiral Pierre de La Grandière
à partir de mai 1863.
Ne pouvant se résigner à la perte de ses
trois provinces du Sud, la cour de Hué envoie une ambassade à
Paris, conduite par Phan Thanh Gian, négocier le rachat des trois
provinces orientales.
Les opinions en France sont partagées. Un certain
nombre de ministres et de parlementaires s'inquiètent du coût
de l'expédition cochinchinoise, d'autant plus que le Second Empire
s'est lancé dans une expédition hasardeuse au Mexique. De
l'autre côté, le ministre de la Marine Chasseloup-Laubat,
est un partisan déterminé du maintien des trois provinces
conquises sous l'autorité française. Néanmoins, le
capitaine de frégate Gabriel Aubaret est nommé consul de
France à Bangkok avec la mission secrète d'engager avec la
cour de Hué de nouvelles négociations. L'Empereur semble
favorable à un amendement du traité de 1862 et à rétrocéder
les trois provinces à la cour de Hué, en échange d'un
protectorat sur l'ensemble des six provinces de la Cochinchine.
Le 21 juin 1864, Aubaret signe à Hué un
nouveau traité selon les termes souhaitées par la cour d'Annam.
Les trois provinces orientales sont rétrocédées à
la cour de Hué en échange d'un protectorat sur les six provinces
de la Cochinchine. La suzeraineté de l'Empereur est affirmée
dans le traité mais une clause précise que cela n'entraîne
aucune idée de vassalité. Les adversaires à Paris
de la non-révision du traité de 1862 ne restent pas inactifs
et le gouvernement expédie le 8 juin un contrordre à Aubaret
signifiant sa décision de s'en tenir au traité de 1862. La
missive arrive seulement après la signature par Aubaret du nouveau
traité.
La campagne se poursuit à Paris pour la non-ratification
du traité signé par Aubaret. Le 4 novembre 1864, Chasseloup-Laubat
présente à l'Empereur un rapport capital sur l'Indochine
que celui-ci lui avait demandé un an plus tôt. Le ministre
de la Marine se prononce totalement en faveur du maintien des trois provinces
orientales de la Cochinchine sous l'autorité de la France. Le 10
novembre, le conseil des ministres décide de rejeter le projet de
rétrocession et de protectorat. Le traité Aubaret est donc
désavoué et ne sera pas ratifié.
En Cochinchine, l'amiral de La Grandière, sous
prétexte de rétablir l'ordre et de réprimer les mouvements
de résistance dans les provinces du Sud, se lance à l'attaque
des trois autres provinces occidentales: Chau Doc, Ha Tiên et Vinh
Long. Ces provinces sont également annexées en juin 1867.
La France achève l'annexion de la Cochinchine.
C'est également en cette année que Chasseloup-Laubat
quitte le ministère de la Marine, remplacé par l'amiral Rigault
de Genouilly.
Ainsi se terminait la carrière ministérielle
de Chasseloup-Laubat. Après avoir été pendant dix
mois ministre de la Marine en 1851, Chasseloup-Laubat avait retrouvé
ses fonctions ministérielles en 1858, fonctions qu'il a conservé
d'une façon ininterrompue pendant près de neuf ans, de mars
1858 en janvier 1867, d'abord en tant que ministre de l'Algérie
et des Colonies, puis retrouvant son ancien ministère de la Marine
à partir de 1860. Sous son long ministère a été
achevée l'annexion de la Cochinchine, ainsi que l'établissement
du protectorat français sur le Cambodge.
Le 17 juillet 1869, un décret impérial nomme
Chasseloup-Laubat aux fonctions de ministre présidant le Conseil
d'Etat. Le IIe Empire devra s'écrouler peu de temps après,
suite au désastre de Sedan en 1870. Aux élections du 8 avril
1871, Chasseloup-Laubat se présente de nouveau à sa circonscription
d'origine et fut une nouvelle fois choisi comme représentant par
les électeurs de la Charente-Inférieure.
Deux ans plus tard, il meurt à Versailles, le
29 mars 1873, le jour anniversaire de sa naissance, 68 ans plus tôt.
La statue de Chasseloup-Laubat à Marennes
Une statue de Chasseloup-Laubat a été érigée
à Marennes en 1874, sur une place qui porte son nom. Les frais du
monument ont été couverts par une souscription. L'inauguration
a eu lieu le 13 septembre 1874, à peine un an après la mort
de l'ancien ministre des Colonies et de la Marine.
La statue, d'une hauteur de 3 mètres, réalisée
par le sculpteur Alexandre-Victor Lequien, le représente debout,
en costume de ministre, prononçant un discours; de la main droite,
il fait un geste à l'appui de ses paroles; la main gauche, relevée
sur la poitrine, tient un rouleau sur lequel est écrit: "Emancipation
politique et commerciale des colonies".
Le personnage porte le grand cordon de la Légion
d'Honneur et diverses décorations; à sa droite, sur un fût
de colonne, sont des manuscrits déroulés portant ces paroles
de l'ancien ministre: "Le pouvoir d'un homme honnête, c'est un sacerdoce;
on ne doit l'employer que dans l'intérêt du bien ou du moins
de ce qu'on croit être le bien."
Sur une carte géographique est écrit :
"COCHINCHINE FRANCAISE - SAÏGON".
On voit que dans la carrière politique de Chasseloup-Laubat,
qui a occupé de multiples fonctions: député, sénateur,
conseiller l'Etat, ministre des Colonies, ministre de la Marine... c'est
surtout sa politique coloniale qui a été mise à l'honneur
dans le monument érigé en son souvenir. En tant que ministre
des Colonies, son œuvre majeure aux yeux de ses contemporains a été
en effet de s'opposer à toute tentative d'abandonner la Cochinchine
et de conserver à tout prix cette colonie dans l'Empire français.
C'est ainsi que la Cochinchine et la ville de Saigon ont été
mentionnées dans les objets qui symboliquement évoquent la
vie et l'œuvre du personnage.
La statue de bronze fut érigée sur un piédestal
en granit d'une hauteur de 3m60. Quatre plaques de bronze décorent
le piédestal. La face antérieure porte l'inscription suivante
:
SAMUEL-PROSPER-JUSTIN-NAPOLEON
MARQUIS DE CHASSELOUP-LAUBAT
NE LE 29 MARS 1805
MORT LE 29 MARS 1873
Sur la face latérale sud :
CONSEILLER D'ETAT
DEPUTE DE LA CHARENTE-INFERIEURE
MEMBRE ET 12 FOIS PRESIDENT DU CONSEIL [GENERAL]
DE LA CHARENTE-INFERIEURE
4 FOIS MINISTRE : MARINE, COLONIES,
ALGERIE, COLONIES
CONSEILLER D'ETAT, SENATEUR
GRAND-CROIX DE LA LEGION D'HONNEUR
RAPPORTEUR A L'ASSEMBLEE NATIONALE
DE LA LOI SUR LE RECRUTEMENT DE L'ARMEE
Sur la plaque de la face ouest :
CE MONUMENT A ETE ERIGE
LE 13 SEPTEMBRE 1874
PAR SOUSCRIPTION NATIONALE
Sur la face latérale nord sont reproduites les
paroles que Chasseloup-Laubat a prononcées dans son rapport sur
le recrutement de l'armée:
"Loin de se laisser abattre par ses revers, une Nation,
qui ne consent pas à déchoir, étudie les causes de
ces revers, se met hardiment à l'œuvre, réforme tout ce qui
a pu l'affaiblir et parvient à se relever, quelquefois plus puissante,
après ces épreuves qu'il entre peut-être dans les desseins
de la Providence d'imposer aux peuples comme aux individus, pour mieux
leur montrer leurs devoirs et rendre plus forts ceux qui savent les supporter;
voilà ce que vous voulez, voilà, nous en avons l'espoir,
ce que fera la France. - P. de Chasseloup-Laubat. Rapport à l'Assemblée
Nationale de la Loi sur le recrutement de l'Armée."
Pendant la guerre, cette statue a été enlevée
par les Allemands et fondue pour la fabrication de canons pour l'armée
allemande.
Après-guerre, une statue de pierre a été
érigée à la place. C'est cette statue qui trône
aujourd'hui sur la place Chasseloup-Laubat à Marennes.
A Marennes, un stade porte également le nom de
Chasseloup-Laubat.